Il est venu nous lire son récit …
Ma présentation se déroule en trois étapes d’inégale longueur. D’abord mon histoire personnelle marquée par trois hospitalisations à la demande d’un tiers. Ensuite ce que je peux dire en tant que patient toujours sous traitement. Enfin comment peut-être en sortir ou vivre avec.
Cela a débuté simplement, sans violence : à 20 ans mes parents sont inquiets et me laissent le choix entre une cure de sommeil en clinique et un suivi psychiatrique. Je choisis la seconde option après une hallucination auditive. Le médecin est attentif et compréhensif : il me prescrira sa molécule qui deviendra ma molécule pendant les quatre années d’études qui suivent. Au dernier rendez-vous alors que je me prépare à quitter la France il me dit qu’à 24 ans il est normal que prendre un médicament soit une contrainte mais qu’à quarante ans, avec un boulot et des responsabilités d’adulte je verrai les choses différemment.
En Allemagne avec mon ex cela se passe d’abord bien et je reprends l’habitude de me rendre à des consultations. Après trois ans ces consultations se transforment en conseil conjugal et le docteur relativise de loin en loin ma situation. A vingt-sept ans je me sépare et reviens en France. Une discussion tourne mal et mon père démuni et dans l’incompréhension face à ma violence appelle le 115.
C’est ma première hospitalisation sous contrainte en 2012 à Alès. C’est dur, surtout les doses médicamenteuses et je suis affecté à l’unité des malades « calmes », séparée des « violents » à l’autre bout du couloir. Je vivrai deux autres hospitalisations en 2014 et 2017. En 2014 c’est particulièrement dur avec une première phase dans une pièce vide, en isolement pendant deux nuits et trois jours à Brumath. Ils me donnent trois gobelets d’eau sans me dire pour combien de temps. C’est brutal, cela me casse. Je pense que c’est volontaire, car les patients avec un historique d’hospitalisation développent des mécanismes d’adaptation, j’y reviendrai.
Pendant ces hospitalisations je reste concentré sur trois points qui structurent encore aujourd’hui ma vie de patient. Ces trois points sont trois volets de réflexion. D’abord la famille proche pour qui je développe un ressentiment mêlé de culpabilité : je ne suis pas aussi solide qu’il le faudrait, j’ai craqué alors qu’ils m’entouraient, j’ai besoin d’eux mais la relation ne sera jamais la même. Un autre objet de réflexion très important ce sont les relations affectives, amicales et amoureuses. L’hospitalisation, sous contrainte ou non, isole et les médicaments abrutissent. Au bout de quelques temps et même après la sortie on grossit, on dort beaucoup et on a mal. On a mal sans que le traitement puisse être tenu pour entièrement responsable et sans pouvoir l’exprimer aux amis et amies. Or c’est très important et sur la base de mon histoire je soutiens que les relations extra familiales sont fondamentales. La famille c’est bien, les amis c’est mieux car ils nous forcent à mettre de la distance et des mots sur « un épisode » (terme médical entré dans le langage commun). Le dernier point concerne une dimension purement psychologique : l’accoutumance au désespoir. Une fois passé l’effarement des premiers moments de violence, l’hôpital nous fait comprendre que nous serons mis à l’écart de la société pour un temps indéterminé, que les médicaments c’est plusieurs fois par jour et que les infirmiers surveillent. Le désespoir s’installe doucement en nous en fertilisant notre statut de malade incapable de travailler, d’écrire, de lire parfois. Je parle de désespoir sans que tous les patients soient des cas désespérés. Il ne s’agit pas d’un désespoir existentiel mais lié à ce que l’on nous retire du monde. J’insiste là dessus, il y a de l’humour, de la solidarité à l’hopital. A ma troisième hospitalisation j’ai été traité au valium et cela perturbe beaucoup pour lire. On nous entraine vers le sentiment de notre inutilité. Bien sûr pendant les hospitalisations sont organisés des ateliers mis en place par les soignants. C’est sans doute une bonne chose. Mon sentiment profond c’est que l’absurde guette et que l’expression individuelle est avant tout motivée par la compréhension du parcours thérapeutique : donner l’image de quelqu’un qui participe et se plie aux contraintes pour obtenir son bon de sortie le plus rapidement possible. Etant donné l’organisation des hôpitaux d’ailleurs, une fois que le médecin évoque la sortie, les choses vont rapidement et s’accélèrent, les relations avec les infirmiers et infirmières s’améliorent sensiblement. Reste que les doses sont maintenues et que la vitesse de la sortie ne permet souvent pas de s’y préparer.
En trois points je résume donc : la relation familiale fondée sur l’incompréhension et la culpabilité, la relation affective amicale et amoureuse fondée elle sur la difficulté à partager une expérience et la relation sociale de travail fondée sur l’inutilité et le désespoir.
Je parlerai peu de ma relation familiale car en ce qui me concerne les liens ne se sont pas brisés, et j’ai plutôt eu de la chance avec mes parents et mes frères et soeurs. Pour les relations amicales et amoureuses il y a bien sûr la difficulté à maintenir des liens avec des gens qui ne comprennent souvent pas ce qui cloche. Mais il est absolument central de maintenir ces relations pour équilibrer la relation patient-soignant et parent-enfant qui ne sont pas susceptibles de permettre une objectivation de sa situation, contrairement aux relations amoureuses et amicales. Enfin je parlerai de cet ami proche qui a eu une proposition de travail et dont le médecin s’est opposé à ce qu’il reprennent une activité professionnelle. Je trouve que c’est dramatique car il ne fait aujourd’hui que suivre les activités de son hôpital de jour et s’isole de plus en plus. Il cherche aujourd’hui un logement dans une résidence adaptée mais ne peux s’affranchir de son statut de patient.
Ces réflexions je les ai partagées et retrouvées au sein du fil conducteur que je remercie.
Une mère, été 2017
Ma fille a été emmenée, sous contention, dans un service parisien de soins intensifs depuis le service psychiatrique dont elle dépendait.
Elle a donc été en chambre d’isolement et contenue dans un service où il y a presque que cela. Passé le we d’arrivée, la psychiatre a toutefois pensé que les contentions étaient peut être inutiles donc les a faites enlevées après quelques jours. Elle est restée un mois en chambre d’ isolement. Pyjama bleu obligatoire. Après quelques semaines, chambre tantôt ouverte, tantôt fermée mais sur quels critères et à quelle fréquence?
Certes il y avait une équipe qui passait plus souvent dans sa chambre surtout quand elle était tout le temps enfermée et lui approchait un téléphone quand nous appelions. Le médecin passait tous les jours, du moins au début sauf le WE pour un entretien, parfois 2 fois quand elle a été plus mal. C’est la différence que j’ai observée par rapport à la chambre d’isolement du service « habituel ».
Dans la période d’enfermement complet nous avons pu quand même la visiter. Il était proposé qu’un soignant reste avec nous ce que nous avons refusé
Systématisation de la contention
Un patient anxieux est ré hospitalisé à la demande de sa famille.
Sa parole, recueillie le 30 Avril 2018.
« Tu te demandes dans quel monde tu es »
« Quelle brutalité ! Tout le monde est sous contention la première nuit, sur le dos, les quatre membres attachés, serrés, j’ai demandé qu’ils desserrent mais je crois qu’ils ont fait semblant.
Tu te demandes ce que tu as fait, en quel état tu es pour qu’on te mette sous contention, ce qui est réel, si le réel des infirmiers est celui-là, dans quel monde sont-ils ? (citation de cinéma), dans quel monde tu es, toi.
C’est complètement sadique.
C’est carrément un système.
La première nuit, tu es sous contention, après ta chambre est fermée la nuit et le jour tu es en pyjama, ensuite ta chambre reste ouverte, puis tu retrouves tes affaires et le 12° jour tu sors. Ça marche comme ça, comme un marchandage entre les infirmiers et toi.
La question du diagnostic
« Ma première hospitalisation remonte à il y a vingt ans maintenant ; cela a duré deux semaines. La deuxième quelques semaines plus tard, nouvelle hospitalisation, sous HDT cette fois, qu’a signée ma mère. Depuis, je ne compte plus le nombre de séjours dans divers hôpitaux, le nombre de décompensations, le nombre de passages aux urgences.
Comment j’ai su le nom de ma maladie ? Cela a été quelques années plus tard, lorsqu’il a fallu renouveler la prise en charge à 100% des soins. Le médecin contrôleur de la Sécurité sociale m’a demandé pourquoi à mon avis j’étais prise à 100%, à ma grande surprise. Comme je ne savais pas, je n’avais pas de réponse à cela, il m’a dit « Vous souffrez de schizophrénie ». C’est comme cela que j’ai « su ». A quel moment c’était ? Je ne me souviens pas. Et je ne veux pas m’en souvenir. Je suis trop mal lorsque j’y pense… J’aurais préféré ne pas savoir… »
Une patiente