L’épreuve de la lecture des preuves d’une imposture où l’enfer est pavé de soi-disant bonnes intentions …

Nous avons lu le livre de Leboyer-LLorca, « Psychiatrie, état d’urgence », livre publié par Fondamental en partenariat avec l’Institut Montaigne, think thank  néo libéral à la source des lois de santé et bible du Ministère du même nom, avec le soutien de la Fondation de France.

En préambule, les auteurs chiffrent l’urgence d’agir :

12 millions de Français touchés par des « troubles psychiques », assènent-ils, sans distinguer les « troubles » mineurs et les « troubles » qu’on appelle maintenant « sévères » et qu’on appelait naguère psychoses.

Au passage ce qui nous trouble, c’est qu’il s’agit de « TROUBLES », jamais de maladie ! Maladie, c’est lourd, glauque et tragique, ne relevant pas de la « pensée positive et pragmatique », tournée vers l’agir immédiat !

Autres chiffres : la « santé mentale » coûte, selon les auteurs, 109 milliards d’euros à répartir ainsi :

  • 13,4 pour la prise en charge médicale, 6,3 pour le médico-social
  • 24,4 pour la perte de production
  • 65, pour la perte en qualité de vie

A chacun d’apprécier les deux derniers chiffres et leur pertinence en termes de coût dont le mystérieux calcul échappe à une démonstration « SCIENTIFIQUE » dont l’ouvrage ne cesse pourtant de se réclamer.

État d’urgence, pourquoi ? Trop d’argent dépensé pour des soins et des parcours chaotiques, pour des vies non productives, désinsérées, et privées du « bien- être » tel qu’il est mesuré par des « indicateurs ».

Il y a bien un peu partout de la bonne volonté, de l’innovation, de « bonnes pratiques » que le livre (en patchwork) recense avec une bienveillance œcuménique, des bonnes pratiques qui pourraient améliorer le système, mais qui semblent s’épuiser et épuiser les financements faute de coordination et de modélisation, faute à la base, c’est ce qu’il faut comprendre, d’une psychiatrie « scientifique », dite par les preuves …

… Ou l’épreuve de la bien « pensance » néolibérale.

Or donc, dès qu’un ouvrage se présente sous le masque du gâchis budgétaire en présentant en creux les « bonnes manières gestionnaires », on peut quand même faire un retour réflexif sur ce que signifie ce genre de pensum !

Œcuménisme d’apparence, également, quant à la conception de la maladie : les auteurs reconnaissent des tensions, qu’ils situent au XIX° siècle, entre les tenants de la localisation de la maladie dans les zones du cerveau et la conception unitaire de la folie, comme rapport du sujet au monde. Ils disent « la conciliation [actuellement] possible » entre ces deux conceptions par l’examen des « connexions » du cerveau.

Mais la question du sujet est aussitôt évacuée au profit d’un diagnostic rapide et valide (on ne perdra pas de temps), qu’on pourra établir à l’aide de l’imagerie cérébrale (des connexions du cerveau) et de « machine learning » croisant les données biologiques.

Ces « outils », selon les auteurs, permettront d’éviter les retards de diagnostic, les approximations ou les inadéquations dans les traitements. Ils sont dits utiles dans la prévention du développement de la maladie ou dans la prédiction de la réponse aux traitements.

Ils seraient élaborés par des centres experts, selon le modèle des centres experts du cancer, qui feraient des diagnostics exhaustifs et personnalisés, et orienteraient les patients, munis de recommandations thérapeutiques personnalisées vers les réseaux spécialisés au nombre de 4 : schizophrénie, troubles bipolaires, dépression, autisme, l’autisme aussi dénommé « troubles du neuro développement ».

Ce qui revient à nier le caractère spécifique de la maladie mentale qui n’est pas une maladie comme les autres au sens où la maladie mentale ne peut nier la question d’un sujet désirant, doté d’une parole signifiante : « Le délire parle à ceux qui l’écoutent et l’entendent », au sens de l’entendement.

Le diagnostic versus Fondamental étant posé, comment cette fondation Fondamental voit- elle la prise en charge des patients ?

Au commencement on trouve une apologie de l’invention du secteur, comme idéal de prise en charge ambulatoire, suivant les besoins du patient, accessible et dans la continuité, au cœur de la « communauté de vie ».

Les auteurs font comme s’ils découvraient les vertus du secteur … au moment même où tout est fait pour qu’il se meure … et que leurs propos finissent d’assassiner !

Mais ce système, selon les auteurs, outre qu’il est à bout de souffle, [n’a pas] « réussi à déplacer le centre de gravité de soins de l’hôpital à la communauté ». Soit dit en passant, on ne sait pas ce que le terme anglo-saxon de « communauté » plaqué ici pourrait bien recouvrir.

Pas plus que la « démocratie sanitaire » (loi Kouchner du 4 mars 2002) qui ferait du malade « l’acteur de son parcours de soins », quand tout aura été prédéterminé par le centre expert et que le patient pourra être « suivi en temps réel grâce aux outils connectés » qui le conseilleront et lui prescriront des exercices de relaxation pour « gérer ses émotions ».

Suivi nécessaire, d’autant que le centre expert aura prescrit un traitement personnalisé médicamenteux et un « panier de soins » limité à x séances de psychothérapies « spécialisées » et ciblées, c’est à dire tournées vers des approches de type comportementaliste issues des conceptions béhavioristes, confer Pavlov et les fameux stimuli-réponse. L’Intelligence Artificielle (I.A) y pourvoira avec l’aide des fournisseurs d’accès et les fabricants d’outils numériques, sur les rangs, piaffant d’impatience en attendant les appels d’offres (A.O) juteux …

Effroi de la perspective de l’homme bionique, à l’égal d’une mécanique portée par une vision purement fonctionnaliste et mécaniste. C’est cela que recouvre ce type d’approche.

Reste la question du financement. Un budget global, comme celui actuellement attribué aux hôpitaux psychiatriques, mais qui « freine l’innovation » toujours selon les auteurs.

Leur modèle vient des USA, de la ville de Boston, qui « budgète » des programmes destinés aux structures coordinatrices de la prise en charge. Un forfait par mois leur est versé en fonction du risque de chaque patient. Une partie de leur rémunération est fonction de leur performance selon 104 (!) indicateurs : accès aux soins, coordination, santé et bien- être, comportement, qualité de vie etc etc…

Lecteurs, nous comprenons alors ce qu’est la prise en charge par la communauté. Et ce qu’est une prise en charge ciblée coordonnée à une « médecine de précision ».

Le livre se conclut par 25 propositions dont la création d’une agence ou « opérateur pilote » (comme pour le cancer) qui labelliserait les centres experts spécialisés, définirait des « épisodes de soins » (de 3 mois à un an) et « des forfaits homogènes comparables », ainsi que l’articulation entre médical et médico-social par un « case manager ».

Pour la recherche et l’innovation, la proposition 25 est de « créer les conditions et les incitations pour attirer des partenaires industriels ».

Notre première conclusion que nous creuserons au fil des mois :

Si les fous ne veulent pas entendre raison après tout le bien que l’ouvrage et ses auteurs leur veut … l’issue sera encore et  toujours de disposer de l’enfermement et de sa trop fréquente associée, la contention, comme « l’ultime recours », banalisé au quotidien des hospitalisations sous contrainte.

Quant au sujet, il semble, selon les auteurs, n’avoir existé qu’au XIX° siècle. La restauration du sujet, la réappropriation de son histoire, la réintégration dans une relation humaine sont sortis du vocabulaire au profit « du comportement », du « bien être » etc…

Quand on sait d’expérience quel effondrement il peut y avoir dans la folie, on reste stupéfait à lire le produit de la doxa néo-libérale, qui tient la corde auprès des pouvoirs publics. Cette doxa si lucidement analysée par Mathieu Bellahsen dans son livre, « La santé mentale, Vers un bonheur sous contrôle », préface de Jean Oury, La fabrique éd.

Cette doxa, si lucidement expliquée également par Miguel Benassayag, psychanalyste et philosophe à écouter en cliquant sur le lien ci-dessous :